Après les 66 propositions du "nouveau pacte politique, social et écologique" (*)
AMORCE D'UN RÉVEIL ?
Deux éléments sont peut-être en train de changer la donne politique. D'une part la publication des 66 propositions pour un « nouveau pacte politique, social et écologique » signées par 19 organisations, ONG et syndicats, regroupés autour de Nicolas Hulot et de Laurent Berger ; d'autre part les réactions positives de quasi tous les Partis de Gauche à leur égard.
Analyse rapide des 66 propositions
Malgré le silence de ces propositions sur la place de la France en Europe et dans le monde, on ne peut qu'être frappé par la longue liste de leurs convergences avec l'Appel que nous avons lancé le 14 février dernier sur change.org. Citons seulement les propositions 27 à 33 : «pour une économie et une finance vraiment responsable», depuis la taxation renforcée des dividendes et la taxation du rachat, par les entreprises, de leurs propres actions, jusqu'au soutien de l'économie sociale et solidaire ; la 35 : «négocier le partage de la valeur ajoutée au sein des entreprises et avec les sous-traitants» ; les 37 à 41 pour une réforme fiscale effective et réellement soucieuse de justice ; la 43 pour de nouveaux indicateurs de richesse ; la 54 pour « une politique d'investissement soumise aux objectifs environnementaux et sociaux » ; la 61 pour l'appui sur la vitalité associative dans les politiques publiques ; la 64 pour le partage du pouvoir dans l'entreprise. Et beaucoup d'autres, auxquelles s'ajoute, dans l'interview de Nicolas Hulot et Laurent Berger au Monde, l'idée de bon sens que les investissements de fond, sociaux et écologiques, devraient être « extraits des critères européens » (les fameux 3 %).
En outre le nombre et la qualité des organisations, connues pour la dignité, voire la noblesse, mais aussi la ténacité de leur engagement, prouve, s'il en était besoin, que les forces vives sont plus larges, plus ouvertes et plus porteuses d'espoir que les Partis politiques qui aujourd'hui occupent la scène médiatique des élections européennes.
Notre responsabilité
Devons-nous dès lors nous fondre dans ce large mouvement et interrompre notre campagne de signatures ? Nous pensons au contraire qu'il faut redoubler d'efforts et engranger des signatures en grand nombre, bien au-delà des 1000 dont nous nous approchons. Et cela pour trois raisons majeures.
La première est que s'il est nécessaire (nous nous y sommes aussi attachés) de dessiner les grands traits d'une société meilleure, plus juste, il faut tout autant ne pas méconnaître, sous peine d'utopie, ce qui y fait obstacle, c'est-à-dire les forces qui y font obstacle. Si les politiques censément les plus sociales et les plus écologiques ne sont pas suivies d'effet, ce n'est pas, Nicolas Hulot est bien placé pour le savoir, parce qu' « on » ne se donne pas les moyens mais parce qu'y font obstacle les multinationales et la logique de la finance mondialisée, bref le capitalisme dans sa phase néolibérale et sa visée de la rentabilité financière à court terme. Ce sont ces forces qui nous ont conduits à un moment où « tout peut basculer dans l'irréversible » (Nicolas Hulot). Dans ces conditions, pour que le désir audacieux, et proprement révolutionnaire, d'une société meilleure devienne réalité il faut des luttes : non par goût de la lutte ni par haine simpliste des « élites », mais par simple réalisme, nourri de l'analyse des forces en présence en France, en Europe et dans le monde. Pour peser sur le cours des choses, il faut donc fédérer des forces aptes à contrebalancer, là où elles exercent leur pouvoir, les forces qui, elles, ne veulent ni réel changement social ni réelle maîtrise écologique. Le moment de la politique, de ses alliances et de ses luttes, françaises, européennes, mondiales, est donc, comme toujours, inévitable.
La deuxième raison découle de la première. Quelles forces fédérer si l'on veut éviter que la cohérence du pacte proposé soit réduite à une « boîte à outils » où chaque force politique pourrait à son gré venir faire son marché, ou dont on ne tirerait que des « mesurettes » (Laurent Berger) ? Sauf miracle ou mutation alchimique, la politique qu'incarne Emmanuel Macron ne peut pas prendre à son compte le pacte qui est proposé. Comment imaginer en effet que sauf concessions mineures il abandonne son choix fondamental : s'adapter à la mondialisation des gagnants ? La manière dont il a tenté et tente encore d'enfermer le « Grand Débat » dans le cadre de cette politique interdit toute illusion. Et qu'attendre de l'autre pôle politique dominant la scène électorale, le Rassemblement National ? L'imagine-t-on souscrire aux propositions 21, 23 et 24 qui disent successivement : « Construire une politique nationale de lutte contre les discriminations » , « Construire et garantir un régime du droit d’asile européen dans le respect de la Convention de Genève », « Promouvoir une politique d’intégration bienveillante qui s’inscrit dans notre devoir d’hospitalité » ? Peut-on envisager d' avoir l'oreille d'un Parti dont le socle idéologique fondamental est la « préférence nationale » ?
Ne reste donc, pour l'essentiel, que EELV et les Partis de Gauche, même s'ils se rendent eux-mêmes inaudibles par leur dispersion. Car, cette fois, il y a une résonance patente entre les idées de Gauche et les 66 propositions. Être de Gauche, en effet, c'est contester le capitalisme néolibéral, ses lois comptables d'airain (pour les classes dominées) et ses contournements de la loi (pour les classes dominantes). Certains, à Gauche, veulent simplement réguler le capitalisme, d'autres veulent en sortir. Mais tous sont d'accord, et cela suffit à une large et puissante unité, pour refuser que le capitalisme impose comme au-dessus des lois, sa recherche de la rentabilité financière à court terme et la politique économique, sociale et écologique qui en découle. Or c'est bien cette attitude critique qui anime les 66 propositions et leur donne leur cohérence.
De ces convergences de fait devraient découler deux conséquences : d'une part un dialogue explicite entre les forces vives à l'origine de ces propositions et les Partis de Gauche ; d'autre part la fin de la dispersion des Partis de Gauche. Car si, comme on pouvait le penser et comme on en a maintenant la preuve, ils se trouvent séparément d'accord, à des nuances près, ou sous réserve de tel ou tel complément, avec les 66 propositions, comment peuvent-ils, à leurs propres yeux et aux yeux de leurs électorats respectifs, trouver des raisons sérieuses à leur mortelle dispersion actuelle ?
La troisième raison de continuer notre campagne de signatures est que l'unité de la Gauche exige le double effort de lever les préventions ou méfiances internes et de traiter les désaccords. À égale distance des exclusives et des consensus trop rapides. Les 19 organisations, c'est déjà bien ; mais il y a des absents. Est-ce parce qu'ils n'ont pas été invités ? Parce qu'ils ont refusé l'invitation ? L'important est, comme nous le proposons, d'élargir le cercle à « toute la Gauche », sans étiquetage du « trop » ou « pas assez » à Gauche, et sans méfiance de principe. D'autre part, la transition écologique, c'est bien, mais à la condition de ne pas en méconnaître les difficultés et contradictions, par exemple en matière énergétique. Enfin, sur l'Europe, impossible d'éviter les indispensables clarifications, s'il est vrai qu'isolée la France ne pourra pas rompre avec « un modèle de société qui, génère autant d'injustices et met en péril la vie sur Terre » ; un « modèle » qui « n'est plus un modèle », mais, en réalité, « un non-sens ». Une fois le choix fait de l'unité raisonnée, les clivages ne sont pas à craindre, à condition de n'être pas déniés. Et l'espoir peut renaître.
Les 66 propositions constituent l'amorce d'un processus unitaire à la hauteur des enjeux ; à la condition de s'élargir et de trouver un débouché politique : notre pétition (https://www.change.org/p/le-peuple-de-gauche-forces-de-toute-la-gauche-réveillons-nous) a pour ambition de le rappeler. Par le nombre. Et pour remettre enfin les Partis de Gauche face à leur responsabilité historique. Car l'unité raisonnée, dotée d'un riche contenu commun de principes et de perspectives, est à présent possible. Ne pas saisir cette opportunité serait une faute politique.
Robert SALAIS et Xavier-Francaire RENOU
(*) les signataires de ces « 66 propositions pour donner à chacun le pouvoir de vivre » sont ATD quart-monde, la CFDT, la CFTC, la Cimade, la FAGE, France nature environnement, France terre d’asile, la fondation Abbé-Pierre, la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, Humanité et biodiversité, la Ligue de l’enseignement, le Mouvement associatif, le Pacte civique, les Francas, la Mutualité française, Réseau action climat, le Secours Catholique-Caritas, l’Uniopps et l’UNSA.